Menace de guerre
Iran–Israël-Etats-Unis :
Avions aux avant-gardes ?
Entretien avec le journaliste spécialiste de l’aéronautique
qui vient d'être primé par ses pairs au Bourget :
Coup de fil à Michel Polacco.
"Il ne faut parler qu’en se basant sur des faits,
à partir desquels on peut faire des analyses
et tirer des hypothèses ou des conclusions ...
Ce sont les bases de la profession journalistique.
Toute opinion personnelle qui pourrait influer sur le discours,
je la rejette.
Je considère que mon boulot c'est de donner des éléments de compréhension,
donc d'abord des faits.
Quand je ne connais pas un sujet, je refuse d'en parler…
Par exemple, ce mercredi matin,
on me demande de parler de missile balistique,
de missile hypersonique !
Bon bah ...
Moi, je ne me sens pas franchement qualifé ... "
"Je travaille sur la défense,
le spatial,
l'aéronautique
depuis presque 50 ans,
j'ai fait des études à l'Institut des hautes études de la défense nationale,
j'ai pénétré dans beaucoup d'entreprises et de sites militaires,
j'ai évidemment eu l'occasion de d'acquérir pas mal de de connaissances….
Ça me permet d'en parler,
mais toujours avec des limites
parce que il peut y avoir des nouveautés
que je ne connais pas !
Je suis prudent ...
Et en même temps j'ai bien compris comment fonctionne notre système journalistique.
Il a besoin d'informations et de commentaires tout de suite.
Une fois qu'on connaît les choses et qu'on a les éléments et les conclusions,
ça n'intéresse plus du tout nos amis des médias ! "
Au-delà de la crise
Iran–Israël–EtatsUnis,
avez-vous d’autres exemples récents en tête ?
"Je prends l'exemple du Boeing 787 d'Air India.
Nous en avons parlé
pendant 2 jours sans interruption,
sans rien savoir …"
"Nous aurons dans quelques jours des éléments factuels de compréhension de la catastrophe.
Il n'y aura plus aucun média pour en parler,
sinon à travers une ou 2 brèves !"
On sent chez vous une forme de critique,
sans doute salutaire pour le métier …
Quand vous avez participé à la création de France Info en 1987,
quelle était votre exigence ?
"Nous étions encore dans un système où les rédactions étaient assez tenues.
Les exigences des rédactions-chefs étaient assez solides.
On veillait à ce que les journalistes ne confondent pas les faits, les analyses et les opinions.
C'était une radio fabriquée par des présentateurs
essentiellement à partir de dépêches d'agences ou d'informations provenant du réseau des radios locales de Radio France,
qui s'appelle maintenant ICI.
On vivait dans un système qui était assez maîtrisable en termes de rigueur,
toujours soumis à des risques d'erreurs.
Voilà, pourquoi nous avions des invités, des interlocuteurs, des interviews
qui nous permettaient de préciser les choses."
"Aujourd'hui, tout ça a beaucoup changé !
D'abord parce que les journalistes changent de job tout le temps.
On ne "fabrique" plus vraiment de spécialistes :
celui qui fait l'environnement,
3 ans après fait de l'économie
et 3 ans plus tard,
il fait de la politique !
Il est extrêmement difficile de disposer en interne d'expérience
à propos de sujets qui sont évidemment majeurs.
C'est un gros souci à mon avis,
pour tous les médias !"
Mais pourquoi ?
"Toutes les chaînes de télévision d'information
comme les radios m’appellent !
France 2, TF1 etc …
En interne, elles n'ont plus de spécialistes !"
"J’ai travaillé pendant quelques 50 ans à la radio,
Europe 1, France Inter, France Info, aussi pour France Culture et France Bleu…
Mes fonctions ont toujours été de faire soit du reportage de tout venant,
soit de l'encadrement,
soit du management …
Cela m'a permis de continuer à acquérir des savoirs,
de l'expérience,
des relations."
"Et je pense que c'est ce qui a été un peu récompensé et primé
à travers la distinction de qui m'a été remise."
"Toute cette continuité dans mon travail,
ce qui est encore le cas d'un certain nombre de journalistes aujourd'hui,
mais qui est en voie de disparition,
m'a permis de d'obtenir une reconnaissance des professionnels dans plein de métiers".
Carnet d’adresses,
maîtrise des sujets,
recul sur l’émotion
et attachement au factuel ?
"On met beaucoup en avant aujourd'hui l'opinion,
même le militantisme souvent,
avant de passer par les faits et par les choses avérées !
Par moment, j'ai envie de piquer des crises de nerfs parce qu’on diffuse des choses qui ne sont pas sérieuses.
On invite des soi-disant spécialistes,
mais les journalistes n’ont pas le savoir pour les interrompre,
ou au moins les relancer !
J’entends des choses qui historiquement, politiquement ou techniquement sont des inepties.
Je suis l’un des derniers survivants d'un monde qui vit encore sur les faits,
attaché à ce que les analyses soient bien séparées des commentaires !"
Si vous étiez aujourd'hui en situation de créer un média d’info continu,
quelles seraient vos priorités ?
"J'ai déjà connu ce type de challenge,
quand j'avais pris la direction de France Info
à la demande de Jean-Marie Cavada en 2002.
France Info existait
déjà depuis 15 ans
mais pour moi,
il y avait beaucoup de dérives, d'imprécisions.
On regardait les choses
"au taquet",
en donnant des avis immédiats sans prendre de recul."
"Dans le même temps,
tout en dirigeant la chaîne,
j’ai découvert le savoir et la capacité d'explication de de Michel Serres.
Avec lui,
j'ai réalisé une chronique hebdomadaire pendant 14 ans
en traitant d'à peu près tous les sujets :
de la culture à la technique, la science, la sociologie, la politique étrangère etc …
Ce rendez-vous était une lueur de réflexion et de recul à l'antenne !
Michel Serres :
"Ça a eu énormément de succès puisqu'on a publié plein d'ouvrages avec nos chroniques
en comptabilisant un auditoire de l'ordre de 500 000 auditeurs !"
"Très honnêtement
si je devais recommencer aujourd'hui,
dans ces radios qui sont devenues assez pléthoriques en termes d'emplois,
je donnerais les moyens de former des spécialistes
ayant du recul,
acquérant des savoirs,
de l'expérience
et des relations,
leur permettant d'obtenir des informations vérifiées pour faire la différence.
J'y consacrerais franchement beaucoup de rigueur.
Les gens ont besoin d'être éclairés pour pouvoir prendre ses décisions.
Il ya besoin d'informations factuelles et d'explications,
sur le contexte historique des événements !"
Un exemple d’actualité ?
"Quand on parle de l'Iran et d'Israël,
et d'une hypothétique entrée en guerre des États-Unis,
je pense qu'on passe des journées et des journées à faire des débats qui n'ont pas vraiment de sens !
Parce que la seule question qui se pose pour une intervention
des USA en Iran,
ou pas,
c'est la relation entre les Américains et les Russes !"
"C'est ce qu'on a vu en 1991 pour la guerre du Golfe.
Les Russes n'ont pas mis de veto contre l'opération guerre du Golfe menée à l'époque par Georges Bush
et donc le les opérations ont pu avoir lieu.
Ça s'est passé aussi pour la Bosnie et le Kosovo :
les Russes n'ont pas opposé de veto,
ne sont pas intervenus et n'ont pas menacé les Américains,
c'est à dire qu'ils les ont véritablement laissés faire !
La question est de savoir si les Russes laisseraient les Américains,
je dirais "articuler" l'Iran,
ou pas..
Il n'est pas impossible qu'ils laissent faire
Mais évidemment il y aurait un tarif à payer :
probablement l'Ukraine !"
Vous avez une vision assez pessimiste finalement de l’évolution des médias !
"Le monstre "information" privilégie le nombre, la répétition, l'occupation du temps,
la permanence
au détriment de la qualité et du sérieux.
Comme il y a une grosse concurrence,
personne ne peut dire
" je prends une pause "
pour ne diffuser que des éléments véritablement avérées,
vérifiés, rigoureux, sérieux."
"Je ne me laisse pas influencer par les politiques...
C'est assez triste de voir comment certaines déclarations d'Emmanuel Macron
qui sont parfois très franchement psychédéliques,
et sont traitées comme étant paroles d'évangile !
Les journalistes doivent avoir la capacité de traiter les faits
et ensuite de montrer si les propos correspondent à l'histoire.
Pour moi, la machine s'est affolée,
et avec les réseaux sociaux qui sont évidemment quasiment non maîtrisables,
elle s'affolera de plus en plus".
"Il en faudra du talent pour arriver à regarder, lire et écouter tout ce qui est à notre disposition.
Il faudra s'en extraire avec bon sens et en se cultivant,
pour se faire une opinion sérieuse permettant d'avoir une posture citoyenne.
Quand il s'agit d'aller voter par exemple !"
Thierry Mathieu
e-crossmedia
le 18 juin 2025.
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