Alberto TOSCANO, journaliste italien en France depuis 34 ans, essayiste.

 

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Alberto Toscano,
Journaliste consultant régulier sur BFM et franceinfo:

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  • Ce mercredi 10 juin, voilà 3 mois exactement que l’Italie, la première en Europe, décrétait le confinement. Avant même la mise en place de ce dispositif, aviez-vous noté des différences entre le traitement de cette pandémie qui débutait, de chaque coté des Alpes, en France et en Italie ?

Dès la fin février, la situation a été absolument terrible en Italie. Quand la première zone rouge a été mise en place à Codogno en Lombardie, le pays a été désemparé et désorienté. La France a connu le même choc mais 2 semaines plus tard. Dès le début, ce qui m’a frappé, c’est la réaction des médias français, mais aussi de l’opinion publique et des autorités françaises : «Chez nous, ce n’est pas possible !». J’ai participé le 24 février à une émission sur BFMTV, présentée par Ruth Elkrief. J’entendais de la part de mes collègues français : « Nous avons le meilleur système sanitaire du monde ! ! L’Italie est l’Italie, la France est la France… Chez nous ce n’est pas possible ».

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Nous avons relayé en direct une conférence de presse du tout nouveau ministre de la santé Olivier Véran. Il se voulait très rassurant et annonçait qu’il serait lui-même le lendemain en visite à Rome ! Comme journaliste italien à Paris depuis 34 ans, je me suis dis que la France gâchait une chance de tirer les leçons de ce qui se passait déjà en Italie. Elle aurait du s’en inspirer pour mieux faire face à la pandémie.

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  • Les médias n’ont pas joué leur rôle ?

Pendant cette émission, j'étais totalement isolé, je pensais : «Regardez ce qu’il se passe en Italie, c’est absurde de maintenir le premier tour des élections municipales ». Idem sur le plateau de franceinfo :, en télé! Un sénateur de l’opposition, lui-même médecin, a soutenu qu’il fallait maintenir le scrutin. Il y a eu de la part des autorités et de beaucoup de médias français l’idée que ce que vivait l’Italie n’était pas une tragédie, et que la situation ne serait jamais aussi grave en France

 

  • Les jours passant, la France s’est retrouvée elle aussi confinée, comment se sont comporté les médias de part et d’autre de la frontière ?

La confusion a été la même. Les journalistes, ont été en phase en la matière, avec tous les autres professionnels. Un jour il était indispensable de porter des masques, le lendemain tous les médias disaient le contraire ! Ils se sont tous contredits : les savants, les politiciens, et les journalistes entre eux aussi …

En Italie, il n’y a pas eu de Raoult, mais un virologue de l’Hôpital San Raffaele à Milan est aussi devenu une vedette des médias ! Ce professeur continue d’affirmer aujourd’hui encore qu’il n’y a plus d’épidémie, qu’il n’y aura pas de 2ème vague, exactement comme son homologue marseillais … De chaque côté de la frontière les journalistes ont du gérer ce type de phénomène sans y comprendre grand-chose.

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Ils ont fait leur métier, ils ont réalisé des reportages et des enquêtes. Mais lorsque les personnes interviewées sont elles-mêmes dans la confusion la plus totale, les rédactions sont bien en mal de pouvoir diffuser des informations intelligibles. Nous avons eu une démonstration : la médecine n’est pas une science exacte, et du coup l’info qui cherche à en rendre compte ne l’est pas non plus !

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Mais en Italie il y a eu une autre dimension, bien plus politique. La première région tragiquement frappée, la Lombardie, est tenue par les extrémistes de la Ligue du Nord, en opposition au gouvernement central. La lutte politique, sous couvert de pandémie, a été bien plus virulente qu’en France, d’autant que le système sanitaire est organisé en Italie à l’échelon régional.

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  • Le rapport aux médias a-t-il évolué selon vous du fait de cette crise sanitaire ?

Il y a eu une évolution. Cet épisode laissera des traces, y compris dans la manière dont les journalistes doivent appréhender leur métier. J’ai à l’esprit deux exemples qui m’ont laissé perplexe...
Du coté italien les rédactions ont très vite relaté des faits qui touchaient réellement le grand public, alors qu’en France il était surtout question de batailles d’experts. Dans la péninsule des procédures intentées par la magistrature à l’encontre de responsables d’Ephad , ont rapidement été relayées par les médias. Ce sujet n’est apparu que beaucoup plus tard en France.
Plus anodine, la question des abonnements aux transports publics : j’ai moi-même noté un prélèvement sur mon compte bancaire pour mon pass-navigo alors qu’étant confiné chez moi à Paris, j’étais dans l’impossibilité d’emprunter le métro ou le bus.
Cette injustice n’a que très tardivement retenu l’attention des médias. 
La presse comme l’opinion publique se sont montrées en France, très tolérantes par rapports à ces faits qui relèvent de décisions institutionnelles.
En France,  en Italie, comme partout ailleurs, les confrères ont redécouvert qu’ils ont des responsabilités à honorer vis-à-vis de leurs publics.
Leur mission va bien  au-delà du simple but de vendre des journaux ou de faire de l’audience à la radio et à la télévision!

le 10 juin 2020.

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