Comment s'adresser aux jeunes émeutiers aux comportements irrationnels ? Le casse tête des institutions mais aussi des rédactions qui ne touchent pas ces publics de casseurs . Entretien avec le rédacteur en chef en charge de l'éducation aux médias et à l'information de France Bleu et Mouv': Nour-Eddine Zidane.

Radio de service public dédiée au jeune public,

Mouv' est centré sur le hip-hop, la musique électronique et les cultures urbaines.

Depuis septembre dernier, des personnalités venues d'Internet sont les nouveaux marqueurs de l’antenne,

avec l'ambition de créer un lien fort avec la jeunesse grâce à des figures de leur génération et de leur univers.

Coup de fil à Nour-Eddine Zidane,

rédacteur en chef en charge de l'éducation aux médias et à l'information de France Bleu et Mouv'.

"Ce que nous vivons est très compliqué …

A la manière des Gilets Jaunes qui ne se reconnaissaient plus dans les radios et télévisions et qui utilisaient en majorité Facebook pour communiquer et gèrer leurs communautés,

les jeunes gens d’aujourd’hui rejettent les médias traditionnels et sont sur leurs réseaux sociaux préférés.

Mais Facebook il y a 4 ans était assez transparent pour les autorités…

Aujourd'hui, les émeutiers dont la moyenne d'âge est, dit-on, de 17 ans utilisent Snapchat,

et de manière bien plus efficace encore se créent des boucles sur Télégram qui est une messagerie cryptée :

Les échanges sont bien plus difficiles à controler sur cette appli qui garantit la confidentialité...

Quoi qu’en disent le Président de la République ou les ministres qui souhaitent que les plateformes contrôlent les contenus …"

Selon un sondage de novembre dernier pour Médias en Seine avec franceinfo :

près de la moitié des jeunes de 16 à 30 ans disent s'intéresser "peu" à l'actualité.

Ce sont les sujets sociaux comme le pouvoir d’achat, le chômage et les inégalités qui les concernent le plus avec les enjeux environnementaux, l’égalité femmes-hommes et les discriminations…

"Mais de quel profil de jeunes parle-t-on ?

Les émeutiers qui sèment le chaos tous les soirs depuis 4 jours sont sans doute, pour une bonne part, déscolarisés et ce n’est pas un public qu'on peut toucher.

Ils sont déjà en marge et méfiants vis-à-vis des médias dits "traditionnels" comme des institutions, donc c'est très difficile de les toucher !

Et puis, ce mouvement de colère né après la mort de Nahel à Nanterre mardi dernier, semble déjà dépassé par bien d’autres motifs qui n’ont plus grand-chose à voir …

C’est un rejet de ce qui est fait par la République !"

"L’état a pourtant dépensé énormément d'argent en quelques années dans ces territoires.

Les banlieues se disaient abandonnées par les services publics, il y fallait des transports pour les désenclaver, mais aussi des équipements pour la culture…

Et bien, aujourd’hui ce sont pourtant ces symboles-là qui sont détruits, brûlés :  

il y a quelque chose qui ne colle pas quoi, et c’est très complexe à analyser à chaud.

En tout cas, c’est inquiétant …"

Au-delà du fond et de la complexité de ces questions,

dans la forme, la couverture de ces évènements ne doit donc pas être simple …

Déjà, nous sommes pour la plupart en début de grille d'été.

Des journalistes prennent leurs congés, donc les programmes et la part dédiée aux infos sont allégés.

Mais surtout, il y a la question de la sécurité des reporters.

Comment restituer les faits de manière fidèle, raconter la réalité des faits, sans prendre de risque ?

J'ai vu sur les réseaux ce matin qu'un vidéaste a été ciblé par un tir de policier…

Quand parfois les journalistes se retrouvent au milieu, entre les émeutiers et les forces de l’ordre, leur position devient très délicate !

Certains médias ne citent plus le nom de leurs reporters à l’antenne puisqu’ils sont considérés comme des cibles ….

Et depuis un certain temps aussi, les journalistes ne sortent sur ces terrains dangereux que s’ils sont protégés par des gardes du corps.

Mais ces vigiles spécialisés ne sont pas assez nombreux; il faut prévenir 2 ou 3 jours avant pour bénéficier de leur protection,

puisqu’ils sont affectés à de nombreuses tâches comme, entre autres,  la protection des bâtiments.

Les consignes sont aussi d'éviter d'aller au cœur des manifestations pendant la nuit, car nous pouvons être en danger à tout moment.

Il convient plutôt de privilégier des directs sur place, donc en journée, pour rendre compte des évènements.

Donc, ça pose aussi des questions sur la liberté d'information …

Des personnalités emblématiques pour la jeunesse s’impliquent dans les médias et sur leurs réseaux sociaux comme Mbappé :

« La violence ne résout rien, encore moins lorsqu’elle se retourne inéluctablement et inlassablement contre ceux qui l’expriment, leurs familles, leurs proches et leurs voisins.

Ce sont vos biens que vous détruisez, vos quartiers, vos villes, vos lieux d’épanouissement et de proximité. (…)

Le temps de la violence doit cesser pour laisser place à celui du deuil, du dialogue et de la reconstruction ».

Que Kylian Mbappé, Booba ou qui que ce soit s’engage ça n'aura malheureusement sans doute aucune influence sur ces jeunes au comportements irrationnels...

Et puis il y a aussi certains politiques qui ont joué aux apprentis sorciers, que ce soit ces derniers jours ou ces dernières années.

Justifier les actes de violence commis par certains comme le pillage, c'est évidemment totalement proscrit et totalement condamnable.

Pourquoi brûler les voitures de gens des quartiers populaires qui en ont besoin pour travailler,

ou pourquoi ruiner des artisans qui ont travaillé pendant toute une vie pour monter leur commerce ?

C’est comme aller piller des Lidl, des magasins Action qui sont par excellence les lieux où les personnes des quartiers populaires vont se fournir,

c’est totalement incompréhensible !  

Face à ces personnes au comportement irrationnel, c'est difficile d'imaginer pouvoir raisonner !

"Les journalistes ne sont ni prévisionnistes ni astrologues,

mais ce à quoi il faut réfléchir pour comprendre et tenter de gérer la suite des évènements,

c’est au fait que ce sont des territoires où les reporters ne vont pas, en tous cas pas assez.

Globalement ce sont des publics qui sont ignorés, que la profession ne connaît pas,

et pour tenter de les reconquérir il faudra savoir y remédier".

Thierry Mathieu,

Président d’e-crossmedia,

le 1 juillet 2023.