Fin d’époque ! Après tous ses concurrents, RTL ferme ses grandes ondes ce 31 décembre. Place au Dab+ et à I’IP, avec toujours la FM … Conséquence de l’évolution du mode de consommation des médias. Entretien avec un expert, Albino Pedroia. |
RTL pouvait être écoutée jusqu’à maintenant en Grandes Ondes, du Nord de l’Europe au Bassin Méditerranéen, et jusqu’à 500 kilomètres au large de la Bretagne.
Depuis 1931, elle disposait toujours de son émetteur installé au Grand-Duché, qui en faisait l’une des stations les plus puissantes au monde…
Son exploitation sera stoppée dimanche,
le 31 décembre 2022.
La station fera des économies, à hauteur de 6 000 mégawattheures d'électricité par an !
Mais l’enjeu principal est ailleurs …
Place désormais au DAB+ et à l’IP, en plus de son réseau national en FM.
Objectif : s’adapter à la révolution du mode de consommation des médias.
Coup de fil à Albino Pedroia,
expert des médias en particulier de la radio, directeur associé du Lab Radio.
Il est également consultant pour France Médias Monde et la Rai Radio, ancien dirigeant chez Havas et Canal+.
"C’est un phénomène européen, l’abandon des émetteurs Ondes Moyennes / Ondes Longues...
France Inter a ouvert le bal en stoppant son fameux émetteur d’Allouis près de Bourges,
puis ont suivi RMC et Europe 1.
Ce 1er janvier c’est donc au tour d’RTL.
En Italie il n’y a déjà plus d’émission en modulation d’amplitude, comme en Suisse.
C’est donc la FM qui domine, et l'écoute par le web qui monte en puissance, alors que débute tout juste le standard le plus moderne c’est-à-dire la radio numérique.
Sur le DAB+, la France a beaucoup de retard par rapport à ses voisins.
L’Allemagne s’y est mise en 2008, c’est-à-dire presque 10 ans avant la France.
Par ailleurs plusieurs pays en sont eux déjà à l’étape d’après et abandonnent même déjà la FM : la Norvège y est déjà, la Suisse le fera dans un an et demi …"
Quelle est la conséquence pour l’audience de ce changement de mode de réception ?
"L’écoute d’RTL en grandes ondes ne concerne plus que quelques 2% de ses auditeurs.
L’idée est donc que la perte de cette proportion, très modeste finalement de l’auditoire, soit compensée par ceux qui se mettent au DAB +.
La station espère un switch ondes longues / radio numérique ."
Le problème, c’est le niveau d’équipement en DAB +: les gens s’y mettent progressivement, surtout s’ils achètent des voitures neuves qui en sont maintenant équipées,
mais ils ne sont que 15 % à être dotés de récepteurs de radio numérique fixes en 2021 …
"C’est aussi parce que le réseau d’émetteurs ne se développe en France qu'assez lentement …
Seulement la moitié de l’hexagone est couverte pour l’instant.
Or l’intérêt principal du DAB+, au-delà de la qualité du son bien sûr, c’est justement l’étendue de la zone de couverture de chaque émetteur,
comme l’étaient les grandes ondes !
Cela permet de ne pas avoir à changer de fréquence souvent comme en FM, c’est bien plus confortable même si le système RDS a tenté de le pallier.
Mais il y a aussi surtout la question des offres...
Si on s’en tient au DAB+ national, ce sont les mêmes radios qu’en FM qui y sont diffusées !
Seules 2 nouvelles stations y sont émises : Air Zen et Skyrock Klassiks, il n’y en aura qu’une 3ème supplémentaire d’ici quelques mois.
Alors …
Pourquoi donc investir dans un récepteur de DAB+ alors que le choix serait quasi le même qu’en FM ?
N’oublions tout de même pas les stations comme Crooner par exemple, qui n’émettent pas en modulation de fréquence,
mais qui sont quasiment des radios nationales via le DAB+ de par leur présence sur de très nombreuses agglomérations.
Au total cela apporte tout de même une diversité thématique plus riche alors que la bande FM est totalement saturée. "
Il faut dire également que de plus en plus d’auditeurs passent par le web, surtout avec leur smartphone.
L’application Radio Player permet d’écouter facilement toutes les stations est très pratique !
"C’est le dilemme des pays qui se sont mis très tard, pour ne pas dire TROP tard, au DAB + …
Cette radio numérique avait tout son sens il y a encore 10 ans, quand le web n’était pas encore monté en puissance au point où nous l’observons aujourd’hui.
Selon Médiamétrie, presque 19% des +13 ans,
c’est donc une moyenne qui prend en compte les gens bien plus âgés, écoutent la radio en IP, c’est-à-dire via internet.
Mais sur les tranches d’âge jeunes,
la proportion est bien plus forte.
Pour certaines radios cela grimpe jusqu’à 40% !
Le cas de la Suisse est très parlant.
Alors qu’ils s’apprêtent, donc, à fermer dans un an et demi leurs émetteurs FM puisqu’ils ont déjà beaucoup développé le réseau de radio numérique,
les volumes d’écoute en DAB + et via internet sont à peu près équivalents !"
Il y a aussi pour les stations de radio, sans doute une question d’économie.
Emettre sur le web c’est gratuit …
Elles ont fermé les grandes ondes qui coûtaient cher,
mais elles continuent à payer leur diffusion en FM et doivent donc maintenant financer la diffusion de leur programme en DAB+ ?
"Evidemment …
Cela-dit, le numérique coûte moitié moins cher que la modulation de fréquence, mais pour l’instant pour les principaux acteurs, il s’ajoute en effet à la facture du parc de leurs émetteurs FM,
Alors que le nombre d’auditeurs potentiels en DAB+ demeure réduit…
Ces prochaines années en tous cas,
les acteurs se dirigent donc à nouveau vers un modèle de triple diffusion.
Auparavant les grandes radios étaient émises en Grandes Ondes, en FM et par le web,
maintenant elles le seront en FM, en DAB+ et de plus en plus sur internet."
La vraie question n’est-elle pas plutôt, au-delà du mode d’émission, celle du contenu ?
"C’est l’histoire de l’offre et de la demande.
Les radios demeurent conçues pour être écoutées tout au long de la journée.
Les propositions de programmes se succèdent les unes après les autres :
cela correspond bien au mode des émetteurs traditionnels, en FM comme en DAB +.
Mais, plus les nouvelles générations seront adeptes de l’écoute en IP, plus leurs demandes se limiteront à certaines parties du programme....
Le média de flux répond de moins en moins à leurs attentes.
Le succès des podcasts ou des écoutes d’émissions en replay en est déjà la démonstration.
Des expériences sont tentées déjà,
comme au Canada d’où je reviens,
pour que la grille d’une radio soit conçue en tenant compte de cela, en fonction de l’écoute IP.
C’est l’idée développée aussi en France par l’appli de France Info.
Je peux choisir les thématiques qui m’intéressent,
je les programme sur mon smartphone,
et je peux n’écouter que ce que j’ai sélectionné.
Si je suis intéressé par l’économie, le sport et l’international,
les rubriques qui me seront proposées ne parleront pas de culture, de sciences ou de politique intérieure.
Les nouveaux utilisateurs veulent choisir et ne pas subir…
Mais, s'agissant de l'évolution globale du marché, ayons en tête cette formule d'un comique sur France Inter :
il est toujours difficile de faire des prévisions, surtout quand il s’agit de l’avenir !"
Thierry Mathieu,
Président dre-crossmedia,
le 27 décembre 2022.
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