Il est les mains de Ravel pour le son, quand l’acteur est au piano à l’image ! Star de Boléro, le film d’Anne fontaine, il joue sans être vu, sauf dans 2 scènes où il incarne aussi un critique. Entretien avec Alexandre Tharaud.

 

 

Il est l’un des pianistes virtuoses français les plus internationalement reconnus,

ses disques sont au box-office des ventes classiques,

et partout dans le monde les salles sont bondées à chacun de ses concerts.

 

 

Pour "Boléro", il est en quelques sortes une "doublure" !

Coup de fil à Alexandre Tharaud.

"Cela fait des années qu’on se voit avec Anne Fontaine,

la réalisatrice de "Boléro",

pour parler de Ravel…

Pour que le film soit crédible,

pour tous,

et en particulier les musiciens qui rigolent souvent quand le doublage est mal fait..."

 

 

"Devant la caméra, je joue donc "les mains de Ravel" ,

avec le costume que porte le comédien,

sur le piano du compositeur chez lui à Montfort l'amaury.

Mais c’est du playback,

puisque la bande son a été enregistrée sur un autre piano de l’époque.

En plus j’interprète les morceaux en tentant de jouer comme Ravel lui-même :

il était un piètre pianiste, avec souvent des fausses notes …"

 

 

"Et puis, il y a à mes cotés Marguerite Long, la grande viruose et pédagogue de l'époque, jouée par Emmannuelle Devos.

C'est impressionnant !

Ce tournage a été était extraordinaire.

Si je voyais un psy aujourd’hui,

je pense qu’il serait très content !"

 

 

Carmen, Don Giovanni, Tous les matins du monde …

Le cinéma a souvent déjà contribué à rendre accessible la musique de répertoire au grand public …

"C’est en effet dommage qu’il n’y ait pas eu, depuis tant d’années de film qui ait déjà été consacré à Maurice Ravel qui est un vrai personnage de cinéma au travers sa personnalité,

par ses mystères et pour tout ce qu’il a apporté à l’histoire tout simplement.

Et puisque c’est la mode des biopics, il serait intéressant aussi d’en réaliser un sur un autre compositeur français Erik Satie.  

Ce serait phénoménal, il y a vraiment de quoi faire une histoire extraordinaire."

 

 

La radio ou la télévision

comme avec Jean François Zygel, André Manoukian, le Grand Echiquier, Gautier Capuçon avec les Prodiges, Anne Sinclair avec Fauteuil d’orchestre font leur travail aussi,

mais trop peu aux yeux de certains. …

"En effet la télévision joue bien moins son rôle qu’il y a quelques années …

Quand j’étais adolescent au conservatoire il y avait une émission consacrée à la musique classique tous les samedi matin sur TF1,

il y avait aussi Eve Ruggiéri...

Et pourtant à l’époque on râlait en trouvant qu’il n’y en avait pas assez !

N’empêche que le public féru de musique classique en France est très nombreux,

les salles de concert sont pleines,

et on ne compte plus le nombre de festivals chaque été."

 

Aujourd’hui il y a aussi les réseaux sociaux !

Raphaël Personnaz qui joue le rôle de Ravel dans le film Boléro explique d’ailleurs sur Twitter son rapport au personnage,

dans cette vidéo publiée par France Musique

et que vous avez fowardé sur vos propres RS …

 

 

"Les réseaux sociaux sont essentiels, pour aller à la rencontre de nouveaux publics.

C’est facile de proposer aux internautes "Tiens, écoute ça !".

Beaucoup découvrent grâce à de courts extraits des formes de musique qu’ils ne connaissent pas,

mais qui les touchent.

Ils ont ensuite la curiosité d’aller écouter d’autres œuvres.

Ca c’est très positif …

Ce qui est négatif c’est que certaines maisons de disques en recherchant le succès, signent des contrats avec des musiciens qui publient des vidéos en prétendant avoir des followers par milliers, alors qu’en fait ils les ont acheté …

Internet, c’est pour le meilleur et pour le pire !"

 

Les médias parlent souvent également, au-delà de vos concerts, d’évènements auxquels vous participez,

comme la cérémonie aux Invalides en hommage aux victimes des attentats du 13 novembre 2015.

Avec Nathalie Dessay, vous avez interprété « Perlimpinpin » de Barbara.

 

 

Barbara à laquelle vous avez consacré un double album avec de très nombreux artistes :

Juliette Binoche, Dominique A, Jane Birkin, Jean-Louis Aubert, Vanessa Paradis, Renaud Capuçon, Juliette, Guillaume Gallienne, Camélia Jordana, Roland Romanelli, le Quatuor Modigliani ou Michel Portal …

 

 

Barbara vous a appris,

dites-vous,

à vous protéger pour savoir tout donner sur scène …

"C’est quelqu’un qui a beaucoup compté pour moi dès mon adolescence.

Sans la connaître, en écoutant ses chansons, elle m’a donné des conseils.

La scène l’a elle-même sauvé de ses drames personnels, que ce soit la fuite pour échapper au nazisme ou l’inceste dont elle a été victime.

Le rapport au public l’a aidé, lui a donné de la force …"

 

 

De Jean-Sébastien Bach à Mauricio Kagel, Emmanuel Chabrier et Francis Poulenc,

mais aussi Chopin ou Ravel …

Votre répertoire est très éclectique !

"Je travaille des œuvres composées durant quatre siècles mais j’ai surtout toujours apprécié également la musique populaire.

Dès les premiers enregistrements dont on peut disposer d'ailleurs comme ceux de Damia, Fréhel …

Il n’y a pas de petite musique :

on ne peut pas comparer évidemment une symphonie de Dutilleux avec une chanson de Julien Clerc,

c’est comme si on comparait la Joconde avec Astérix.

En revanche toute oeuvre peut provoquer des émotions,

et on peut pleurer en écoutant une chanson de Barbara comme un air de Wagner dans Parsifal !"

 

Au Châtelet vous avez même proposé une rencontre très novatrice entre la musique classique et l'électro avec Para One.

Ravel était d’ailleurs déjà à l’honneur avec la 3^ème pièce de ses Miroirs :

"Une Barque sur l'océan" 

 

 

"J’aime ces expériences, mais je me dis que je n’en fais pas assez,

j’aimerais avoir plus de temps ...

J’aime travailler avec des artistes qui n’ont pas le même mode d’expression que le mien.

Mais sur 30 ans de carrière je trouve que j’aurai aimé pratiquer plus souvent ces expériences qui me bousculent !"

 

 

Du cinéma, de la variété, de l’électro, le répertoire …

Personne ne devrait plus vous qualifier d’artiste

"Classique" !

"Le mot "classique" m’énerve ….

On est engoncé dans ces cadres et ces titres qu’on nous a donné depuis, longtemps …

"Classique" … Ca veut dire  quoi? 

Certains compositeurs actuels comme Thierry Pécou ne sont pas encore classiques évidemment,

on parle donc de musique contemporaine.

Mais alors pour Camélia Jordana on dit quoi ?

Elle aussi est contemporaine.

Pour moi en tous cas, être un artiste ce n’est pas être classique,

c’est être dans le danger permanent !"

 

Thierry Mathieu,

e-crossmedia,

le 7 mars 2024.