"Un livre se valorise aujourd'hui autant par les réseaux sociaux et les blogs, que par la presse, la radio ou la télé". Alors qu'est remis le plus prestigieux prix litteraire, entretien avec Philippe Claudel, écrivain, réalisateur et secrétaire général de l'Académie Goncourt. |
Brigitte Giraud pour " Vivre vite" obtient le Goncourt 2023.
Son livre retrace les derniers jours de son mari, tué dans un accident de moto, et ce qu'il a fallu ensuite construire, reconstruire..
Quoi qu’il arrive, elle est désormais assurée du succès …
Il y a 2 ans par exemple, l’ouvrage d’Hervé Tellier, "l’anomalie" a été tiré à 1 million et demi d’exemplaires et traduit en 46 langues.
Le lauréat du Prix Goncourt bénéficie d’une couverture médiatique internationale.
Mais qu’en est-il de la littérature, en général, aujourd’hui ?
Philippe Claudel, initialement professeur, est l’auteur d’une quarantaine de livres, et secrétaire général de l’Académie Goncourt depuis 10 ans.
Lauréat, entre autres, du prix Renaudot ou du Goncourt des lycéens, il s'est par ailleurs investi au cinéma et au théâtre.
Coup de fil à Philippe Claudel …
Beaucoup ignorent qu'alors que vous n’étiez pas encore enseignant, vous avez participé en Lorraine à la naissance des radios libres !
"Dès la libération des ondes, j’ai vécu en effet cette aventure à Nancy.
On passait des soirées entières à créer des grilles de programmes, à imaginer des programmations musicales …
Il y avait une grande connexion avec le public, c’était très interactif.
C'était avant que les stations soient récupérées par les grands groupes, comme NRJ, qui est née d'ailleurs à la même époque.
J’y parlais déjà, cherchez l’erreur... de cinéma et de littérature !
Quel regard portez-vous sur la couverture médiatique de l’actualité du livre, par exemple en Lorraine, votre région ... ?
Il y a quelques années le quotidien régional y consacrait régulièrement des pleines pages.
Ce n’est plus le cas …
C’est une évolution extrêmement négative.
La plupart des journaux avaient des chroniqueurs de littérature, de théâtre, de cinéma, de musique …
Il y avait des compétences dans ces journaux, une large place était faite à la culture.
Ensuite sont arrivés, pour des raisons économiques, des regroupements de titres et la mutualisation des services.
Résultat : des papiers écrits par des critiques qui ne connaissent pas du tout leur lectorat, ni la région où leur article est publié.
Il en résulte une espèce d’univocité assez réductrice.
Les lecteurs ne se reconnaissent pas dans certaines critiques de livre parce qu’en fait, elle sont rédigées par des gens qui ne vivent pas comme eux,
qui n’habitent pas leur territoire :
Ils n’ont pas la même sensibilité.
Beaucoup de gens m’en ont parlé…
L’intérêt existe tout de même encore du côté des radios : je suis fréquemment invité par des stations, parfois des associatives, qui consacre de longues émissions au livre.
Il y a encore ces réseaux qui existent, quand on veut bien les chercher …
En Lorraine, Sarah Polacci traite de l’actualité du livre sur France Bleu.
Elle est, elle-même, désormais commissaire générale à Nancy du "Livre sur la Place", le premier salon littéraire de France chaque année, à la rentrée de septembre …
C’est quelqu’un, aussi, qui aime les écrivaines et les écrivains, qui depuis plusieurs années a cette longue expérience de la fréquentation des auteurs.
Elle mène des interviews lors des grandes manifestations comme le Livre sur la place.
Elle est vraiment aux avant-postes de la littérature !
Au plan national, avez-vous la nostalgie de la grande époque de Bernard Pivot et d’Apostrophe à la télé, qui fidélisait des millions de téléspectateurs chaque fin de semaine ?
Ce qui était formidable, c’est que l’émission de Bernard était diffusée à un horaire qu’on qualifierait aujourd’hui de "prime time",
suivie par le fameux ciné-club de Claude-Jean Philippe.
On y découvrait des auteurs.
Dès le lendemain de l’émission les livres se vendaient extrêmement rapidement en librairie.
Avec "Apostrophe", puis "Bouillon de culture",
Bernard a réussi à donner un visage à ceux qui n’en avaient pas ... Avant lui, la littérature était assez peu "incarnée".
Ce qui est regrettable aujourd’hui, c’est qu’il n’existe qu’un programme de ce type :
"La grande librairie", animée d’abord par Francois Busnel et maintenant par Aurélien Trapenard, sur France 5 .
Il n’y en a pas d’autre en France, comme quasiment partout en Europe …
C’est devenu très rare...
Comme si finalement, montrer des écrivains et parler des livres, ce n’était pas assez porteur, pas assez excitant.
Je ne dirais pas que je suis nostalgique, ce serait un bien grand mot !
Mais c’est vrai que je suis heureux d’avoir vécu cette époque qui permettait à tout à chacun de rencontrer des auteurs, par la télévision.
Ils parlaient d’idées, d’imagination, d’écriture, de romans historiques ou de policiers …
Tout était brassé et c’était heureux !
Paradoxalement, dans le train ou le métro, les gens semblent lire toujours beaucoup, même si c’est surtout sur leur smartphone …
Je ne serai pas aussi optimiste...
Je note même plutot une raréfaction des lectrices et des lecteurs.
En effet ils sont sur leur smartphone, mais c’est surtout pour regarder une émission, une série, quelque chose d’animé !
Les habitudes changent, il y a une réduction du lectorat.
Sauf il y a 2 ans, au moment où nous avons subi la pandémie avec les confinements.
Soudain, la lecture était redevenue une valeur refuge.
Puisque les autres formes artistiques étaient inaccessibles, comme le théâtre, le cinéma, tous les spectacles, beaucoup de gens ont redécouvert le plaisir de la lecture.
Les ventes ont très bien marché durant cette période.
Je note que malheureusement, cet effet s’est estompé; particulièrement depuis le 24 février dernier …
A partir du moment où un certain "guignol" qui s’appelle Poutine a décidé d’agrandir son territoire et de faire la guerre.
On sent que les gens sont plus angoissés par l’actualité internationale, la récession économique, le changement climatique.
Leurs préoccupations les éloignent de la lecture...
Sauf à être lauréat du Goncourt, promouvoir un ouvrage aujourd’hui, ce n’est pas simple …
C’est en tous cas différent de ce que j’ai vécu au début de ma carrière d’auteur.
Il y avait des interviews qui étaient lues, écoutées, regardées : deux semaines après la sortie de mon bouquin j’étais chez Pivot !
C’était miraculeux …
Aujourd’hui, cela passe aussi et surtout par l’investissement des libraires qui continuent à effectuer un travail remarquable.
Et puis il y a le "bouche à oreille"et des blogs qui ont une influence certaine sur la diffusion et les ventes.
Il y a des autrices et des auteurs qui n’apparaissent jamais dans les médias traditionnels, mais qui ont un lectorat considérable !
C’est un des aspects positifs des réseaux sociaux :
les internautes échangent sur les livres et se les recommandent, sans avoir besoin de suivre des critiques dans la presse, à la radio, ou à la télé ".
Philippe Claudel proposera en janvier son nouveau roman : "Crepuscule", à paraître chez Stock.
Le Prix Goncourt est décerné chaque année début novembre.
Le lauréat cette année2022 remporte un nouveau tirage de son livre et un chèque de 10 euros !
Le Prix Renaudot est toujours remis dans la foulée.
Ces distinctions prestigieuses sont rendues publiques au Drouant, à Paris, ce restaurant acceuillait au XIXème siècle Rodin, Pissaro, Daudet ou Renoir...
Le 1er Prix Goncourt y a été remis le 31 octobre 1914.
eccrossmedia, le 2 novembre 2022
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